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Le Pavé Noir
22 septembre 2015

Preuve d'amour

Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour, disait le poète Pierre Reverdy. Reste à les trouver. Enquête sentimentale. Ce qu’il y a de bien avec l’amour moderne, c’est qu’on y est aussi perdu que dans un roman de Jane Austen. Si, dieu merci, on n’a plus besoin d’attendre des années pour savoir si le bel officier avec lequel on a échangé un coup d’œil et une valse nous épousera à son retour de la guerre (on échappe aussi, par le fait, au stress de savoir s’il nous plaira autant avec deux jambes en moins), on nage toujours en eaux troubles quand il s’agit d’apprendre si l’autre nous aime. Les textos ont remplacé les missives envoyées du front (merci la 4G), mais la question reste la même: est-ce qu’on est vraiment ensemble? Alors on cherche, partout, tout le temps, des signes pour confirmer qu’on est bien en train de vivre le début d’une histoire d’amour et pas un plan sordide pour romancier de troisième zone qui planche sur son prochain récit. Bref, on accumule les preuves, on les isole, on les consigne, on les brandit comme des attestations. Notre pire crainte, finir comme Jeannette Bougrab, qui, dans l’espoir de prouver qu’elle n’était pas le «plan cul» mais la vraie compagne de Charb –red chef de Charlie Hebdo assassiné dans l’attentat du 7 janvier–, a consigné chez un huissier leur correspondance. «Plusieurs centaines de SMS et des dessins pour May (la fille de Jeannette Bougrab, ndlr), comme preuves tangibles de notre amour sincère et profond», raconte-t-elle dans Maudites, le livre dans lequel elle évoque sa passion pour le caricaturiste décédé. Et, à ceux, nombreux, qui dénient la légitimité de son couple –dont le frère de Charb, qui a démenti tout «engagement relationnel»–, elle a sorti à Paris Match cette preuve qu’elle espère implacable: «Il a même apporté sa brosse à dents, un signe qui ne trompe pas.» Vraiment? Mais qu’est-ce qu’il nous arrive?? Ah, il est loin le temps où une fois qu’on s’était embrassés derrière le gymnase, on sortait officiellement avec Rémi de la 5e 6. Lien qu’on formalisait à grand renfort de traversées de la cour, main dans la main, appareil dentaire dans appareil dentaire. Adulte, on a appris à se méfier. Vous rencontrez quelqu’un, vous vous plaisez au détour d’une soirée alcoolisée et vous vous entendez si bien que vous décidez d’un commun accord que vous aimeriez apprendre à vous connaître un peu plus (c’est-à-dire sans vos vêtements). Une routine que vous maîtrisez à la perfection mais qui débouche sur un Interstellar d’incertitudes, le matin venu: est-ce la fin d’un merveilleux one night stand ou le début d’un couple durable? Le problème, c’est qu’il est un peu tôt pour lui demander s’il vous aime à la folie (dommage, ça serait un bon indice). Car dans cette affaire, l’autre étant le suspect, il est inutile de compter sur son renfort. Tout le jeu consiste au contraire à essayer de comprendre quel rôle vous interprétez dans la grande aventure de sa vie pour éviter le gros malentendu (ah non, mais moi je couche avec toutes mes copines). Une situation que rencontre souvent maître Patricia Douieb, avocate spécialisée dans le droit de la famille: «Dès qu’il est nécessaire de prouver l’existence d’une relation, on entend à la barre deux narrations complètement opposées.» Aujourd’hui, la liberté des individus est beaucoup plus grande, les frontières du couple plus floues Un je t’aime moi non plus qui n’est pas réservé aux prétoires. Amy Poehler a réalisé par médias interposés que son dîner avec John Stamos (oncle Jesse de La Fête à la maison) était en réalité un «date» et pas un repas entre personnes ayant connu le succès dans des décennies différentes. Tandis qu’Amy Schumer, dans le prochain film de Judd Apatow Trainwreck, tombe des nues lorsque son coup de la veille la rappelle «on purpose» (et pas parce que ses fesses ont appuyé par erreur sur son nom). Et c’est là le cœur du problème: avec la tinderisation de la rencontre amoureuse (les mecs que vous vous faites livrer comme des pizzas) et l’importation du dating à l’américaine (c’est pas parce qu’on se voit, qu’on couche et qu’on brunche qu’on est ensemble), vous ne savez plus très bien à quels saints vous fier (en tout cas, pas St-Môret). «Aujourd’hui, la liberté des individus est beaucoup plus grande, les frontières du couple plus floues», explique Mathilde Olivier, sociologue auteure d’une thèse sur l’engagement dans la relation amoureuse.

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Sous les pavés la plage... mais pas toujours. Parfois le pavé est noir, comme l'actualité.
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